...comme je suis en mon Père vivant de la vie de mon Père vous êtes aussi en moi, vivant de ma vie, et je suis en vous

Jésus, Fils de Dieu et Fils de l'homme, Roi des hommes et des anges, n'étant pas seulement notre Dieu, notre Sauveur et notre souverain Seigneur, mais notre chef, et nous ses membres et son corps, comme dit saint Paul (1 Co 12, 27), et par conséquent étant unis avec lui de l'union la plus intime qui puisse être, telle qu'est celle des membres avec leur chef; unis avec lui spirituellement par la foi et par la grâce qu'il nous a donnée au saint Baptême; unis avec lui corporellement par l'union de son très saint corps avec le nôtre en la sainte Eucharistie; il suit de là nécessairement que comme les membres sont animés de l'esprit de leur chef et vivants de sa vie, nous devons être animés de l'esprit de Jésus, vivre de sa vie, marcher dans ses voies, être revêtus de ses sentiments et inclinations, faire toutes nos actions dans les dispositions et intentions dans lesquelles il faisait les siennes, en un mot continuer et accomplir la vie, la religion et la dévotion qu'il a exercée sur la terre.

Cette proposition est fondée sur les paroles sacrées de Celui qui est la vérité même: Je suis la vie et je suis venu afin que vous ayez la vie. Je vis et vous vivrez. En ce jour-là vous connaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi et moi en vous (Jn 14,6; 10, 10; 14, 19-20). C'est-à-dire que comme je suis en mon Père, vivant de la vie de mon Père, qu'il me communique, vous êtes aussi en moi vivant de ma vie, et je suis en vous, vous communiquant cette même vie, et ainsi je vis en vous, et vous vivrez avec moi et en moi...

Tous ces textes sacrés nous enseignent que Jésus-Christ doit être vivant en nous, que nous ne devons vivre qu'en lui, que notre vie doit être une continuation et expression de sa vie...

Considérez que notre Seigneur Jésus a deux sortes de corps et deux sortes de vie. Le premier est son corps personnel, qu'il a pris de la très sainte Vierge, et sa première vie est la vie qu'il a eue en ce même corps, pendant qu'il était sur la terre. Son second corps, c'est son corps mystique, l'Église, que saint Paul appelle le Corps du Christ (Col 1, 24) ; et sa seconde vie est la vie qu'il a dans ce corps et dans tous les vrais chrétiens, qui sont membres de ce corps, la vie passible et temporelle que Jésus a eue dans son corps personnel a été accomplie et terminée à sa mort; mais il veut continuer cette même vie dans son corps mystique, jusqu'à la consommation des siècles, afin de glorifier son Père par les actions et souffrances d'une vie mortelle, laborieuse et passible, non seulement durant l'espace de trente-quatre ans, mais jusqu'à la fin du monde. Si bien que la vie passible et temporelle que Jésus a dans son corps mystique, c'est-à-dire dans les chrétiens, n'a pas encore son accomplissement, mais elle s'accomplit de jour en jour dans chaque vrai chrétien, et elle ne sera parfaitement accomplie qu'à la fin des temps.


Comme saint Paul nous assure qu'il accomplit les souffrances de Jésus- Christ, ainsi on peut dire en vérité qu'un vrai chrétien, membre de Jésus-Christ et uni avec lui par sa grâce, continue et accomplit, par toutes les actions qu'il fait en l'esprit de Jésus-Christ, les actions que Jésus-Christ a faites durant le temps de sa vie passible sur la terre. De sorte que, quand un chrétien fait oraison, il continue et accomplit l'oraison que Jésus-Christ a faite sur la terre; lorsqu'il travaille, il continue la vie laborieuse de Jésus-Christ; et ainsi de toutes les autres actions qui sont faites chrétiennement.

Vous voyez par là ce que c'est que la vie chrétienne; une continuation et un accomplissement de la vie de Jésus; que toutes nos actions doivent être une continuation des actions de Jésus; que nous devons être comme autant de Jésus sur la terre, pour y continuer sa vie et ses œuvres, et pour faire et souffrir tout ce que nous faisons et souffrons, saintement et divinement, dans l'esprit de Jésus, c'est-à-dire dans les dispositions et intentions saintes et divines avec lesquelles Jésus se comportait dans ses actions et souffrances.

Jean Eudes, Vie et Royaume, II, 1-2